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« Si on n’a pas des choses basées sur notre culture, nous allons réussir très difficilement dans nos projets. »

Il est comédien, metteur en scène et directeur artistique de la troupe ‘’Académie Théâtre du Sahel’. Moustafa KABORÉ, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a bien voulu répondre aux questions de Civitac. Et c’est à cœur ouvert que, dans ce grand entretien, l’homme qui a su s’imposer par son talent et celui de toute son équipe dans la région du Sahel, et même au-delà, nous retrace le chemin parcouru, ses ambitions, et la vision qu’il a du domaine culturel.

Présentez-nous l’Académie Théâtre du Sahel !

L’Académie Théâtre du Sahel est une structure professionnelle de théâtre mise en place en 2010, après ma formation à l’école de théâtre de l’Atelier Théâtre Burkinabè (ATB). De retour à Dori, j’ai essayé de travailler avec quelques troupes sur place, mais la force des choses a fait qu’à un certain moment, il fallait me réorganiser avec des gens autour de moi pour créer une structure théâtrale. Et c’est là qu’est née cette académie qui a pour vocation d’être une institution de référence dans la sous-région. Nous manquons d’ambitions souvent, j’estime qu’il en faut pour faire de belles choses.

D’où vient cette passion pour le théâtre ?
Je n’arriverai pas à vous expliquer jusqu’à quel point j’ai de l’amour pour le théâtre. C’est un virus qui m’a piqué très tôt. Dès l’école primaire, je m’essayais au théâtre, et à un moment, j’ai compris qu’il fallait me former afin d’avoir des aptitudes professionnelles pour pouvoir le faire.

Pourquoi avoir choisi le Sahel pour implanter une troupe théâtrale ?
A mon avis, il y a beaucoup de choses à refaire dans cette région. Certes il y a des troupes qui ont toujours existé, mais la plupart du temps, ce sont des gens qui se sont auto-formés, qui ont appris sur le tas. Et lorsqu’on voit comment les choses se passent, j’estime qu’il faut les refaire. Alors je me suis dit qu’au regard de la formation reçue, je pouvais donner ma petite touche à travers la création de la troupe. Mais je ne m’en limite pas là, parce que la quasi-totalité des troupes, en tout cas pour ce qui concerne la ville de Dori, et même au-delà, me sollicitent beaucoup pour leurs créations, et pour l’écriture de leurs pièces de théâtre.

Vous êtes si attaché à cette région, alors que de par votre nom de famille, on se rend compte tout de suite que vous êtes moaga. Parlez-nous de votre amour pour le Sahel !
(Rires) ! C’est vrai que je suis Kaboré, naturellement ce sont des Mossé. Je suis originaire de Zorgho, dans le Ganzourgou, mais je suis né à Dori. Je dirai donc que je suis originaire de Dori. (Rires) ! J’ai grandi à Dori, je n’ai que cette culture sahélienne en moi. C’est tout ce que je connais comme culture. Il faut comprendre que comme partout ailleurs, l’Homme n’a d’attachement que là où il est né, il ne connait mieux que là où il est né.

Comment s’est faite la rencontre avec les autres membres de la troupe ? Et combien êtes-vous ?
La mobilité du groupe fait qu’il est difficile de dire que nous avons un personnel fixe. La troupe est ouverte à tout le monde. Depuis 2010, j’ai eu à travailler avec beaucoup de gens. Il y en a qui viennent, d’autres partent. Actuellement je suis avec une équipe de sept (7) personnes, mais très souvent nous avons des créations qui demandent plus de personnes, et là, nous faisons appel à d’autres gens qui ne sont pas forcément des membres permanents de la troupe.

Quels sont les principaux messages véhiculés à travers vos scènes ?
Nous abordons des thématiques d’actualité, les difficultés traversées par les populations, etc. Le plus souvent, ce sont des sujets liés à la santé de la mère et de l’enfant, à l’emploi, à la scolarisation des enfants, notamment des filles. Nous sommes actuellement dans une dynamique où à chaque fois qu’il y a un thème transversal, comme la migration, l’insécurité, nous faisons des spectacles que, très souvent, nous-mêmes diffusons sans attendre un partenaire. Quelques fois aussi nous sollicitons l’accompagnement de partenaires.

Pensez-vous que ces messages soient bien reçus par vos publics ?
Oui, parce que la plupart du temps, nous avons une forme de théâtre que nous pratiquons, le théâtre-forum. Et la force du théâtre-forum, c’est qu’on fait la prestation et après il y a le forum qui est une sorte d’évaluation. Cela nous permet de voir si le message a été compris par le public, et recueillir les avis, les recommandations de ce dernier. On se rend compte aussi que les gens ont capté ce qu’on a dit. Souvent même après deux ans, lorsqu’on retourne dans certaines localités où nous avons joué, on nous interpelle par le rôle qu’on avait incarné, parfois même on reprend un peu nos propos. On se dit alors que les gens ont retenu quelque chose.

Qui sont vos partenaires ?
Les partenaires sont multiples. Ceux qui nous sollicitent le plus souvent, c’est la Direction régionale de la santé, le district sanitaire de Dori. Il y a également l’ONG allemande Konrad Adenauer, les associations dans la ville de Dori, et actuellement même nous sommes à une caravane avec l’Association des jeunes pour le développement du Sahel, une jeune association que nous apprécions beaucoup, parce qu’elle nous associe, à chaque fois que de besoin, à ses activités.

Y a-t-il d’autres personnes qui vous accompagnent uniquement parce qu’elles croient en vous ?
A ce niveau, je peux dire que les personnes qui nous donnent la force de continuer ce sont les structures déconcentrées de l’Etat : la Direction régionale de la culture, des arts et du tourisme du Sahel, la Direction provinciale de la culture du Seno. Ce sont véritablement nos partenaires techniques dont l’accompagnement est sans faille. Il y a l’Atelier Théâtre Burkinabè qui, depuis ans, est notre partenaire technique aussi. Il nous associe d’ailleurs à ses activités. C’est un grand pouce pour nous parce que beaucoup de nos comédiens, à travers les activités de l’ATB, ont découvert réellement ce qu’est le théâtre. Ils ont pu partager les expériences avec d’autres comédiens venus d’autres pays tels le Sénégal, le Tchad, le Burundi, la Côte d’Ivoire.

Après huit années d’existence, quel est le plus grand défi auquel vous avez été amené ou êtes amené à faire face ?
Le défi actuellement pour nous c’est vraiment d’avoir un certain nombre de personnes permanentes qui ont le désir de faire le théâtre, parce que jusque-là il m’a tout l’air que les gens n’ont pas compris que c’est un choix qu’il faut respecter. Et le domaine culturel doit être perçu comme les autres métiers. On a coutume de dire que la culture ne nourrit pas son homme, mais je dis que cela dépend de comment on y est entré et de comment on s’y prend. Le défi donc c’est de pouvoir constituer ce groupe dynamique, prêt à faire carrière dans le théâtre.

Combien faut-il débourser pour avoir les services de la troupe ‘’Académie Théâtre du Sahel’’ ?
Pour être honnête, on ne peut pas dire que nous avons un cachet bien fixe. Souvent on se résume à la personne, ou à la structure qui vient nous solliciter. En fonction de certains rapports ou de certaines approches, de la thématique, ou encore des moyens de la structure, on s’entend sur un prix pour les accompagner. Mais il arrive que nous fassions des prestations gratuitement.

Malgré tout, quel a été votre plus gros cachet ?
(Rires) ! Voyez ! Vous les hommes de médias, c’est à ce niveau que c’est embarrassant avec vous. Les cachets varient, du moment qu’une troupe peut être sollicitée pour un spectacle, tantôt c’est pour dix (10), tantôt même quarante (40) spectacles, donc on ne peut pas trop se fier au cachet. En Fonction du nombre de spectacles qu’on nous demande de faire, en fonction du temps qu’on va nous donner, en fonction aussi du sérieux qu’on veut pour le spectacle, il y a un montant que nous donnons à la structure et on discute là-dessus.

Mais donnez-nous ne serait-ce qu’une idée de ce montant !
Comme vous y tenez, lorsqu’on nous demande un spectacle et c’est à nous de prendre en charge le déplacement et la logistique, nous demandons 250 000 F CFA, pas moins de 200 000 F CFA en tout cas.

Parlons à présent de la culture dans sa globalité ici au Sahel. Comment trouvez-vous la place qui lui est accordée dans cette partie du pays ?
Laissez-moi vous dire que c’est une belle région qui a un riche potentiel artistique et touristique. C’est une région qui a fait ses preuves dans le passé, à travers des grandes manifestations comme la Semaine Nationale de la Culture (SNC), des participations à des manifestations en dehors du pays. Mais malheureusement depuis quelques années, tout est à la traine parce que à un certain moment, nos devanciers, soit ils n’y ont pas pensé, soit ils n’ont pas été encadrés avec le souci de former la relève. Il y a donc eu rupture sur tous les plans, que ce soit la danse, la musique, les autres arts, il y a du tâtonnement.

Que faire alors pour redynamiser les choses ?
Ce qu’il y a lieu de faire, c’est à nous qui sommes déjà engagés dans le domaine culturel d’amener les gens à s’intéresser à ce que nous faisons. Je le disais, il y a eu rupture, une faille au niveau de la formation pour la relève, il faut que ceux qui y sont donnent goût de faire ce que nous faisons. Il faut aussi dire que, quelque part, les populations, les opérateurs économiques et bien d’autres, doivent comprendre que les questions culturelles sont l’affaire de tous. La culture que nous exhibons n’est rien d’autre que la nôtre. Il est important que chacun se dise que qu’ils sont en train de valoriser nos richesses culturelles, et qu’il faille leur prêter main forte. On nous encourage certes de façon verbale, mais il faudrait aller au-delà des simples paroles en agissant. Nous souffrons parce que beaucoup pensent que ce que nous faisons c’est de l’amusement, nous ne faisons que divertir les gens. Non, non et non, car en plus de divertir, nous défendons nos valeurs culturelles. Que les gens comprennent que sans leur accompagnement, on ne pourra pas faire grand-chose. L’Etat même a montré ses limites. Non pas que je lui en veuille, mais lui seul ne peut tout faire. On invite les populations à prendre conscience de cet état de fait, et accompagner les artistes.

Quels sont vos projets futurs ?
Merci bien ! Avec l’ATB, nous avons été impliqués dans une compétition de labélisation des troupes de théâtre pour le développement, toutes les troupes qui font du théâtre de sensibilisation, notamment le théâtre-forum, et nous sommes parmi les dix (10) toutes premières troupes du Burkina Faso, sinon de l’Afrique, à avoir le label qualité en matière de théâtre pour le développement. C’est initié par l’ATB, en partenariat avec le ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme. Comprenez que nous sommes beaucoup ambitieux. En 2016, nous sommes allés au niveau de l’ATB avec un spectacle sur la situation d’insécurité au Sahel, et le directeur de cet institut, Prosper KOMPAORÉ, a souhaité qu’il soit diffusé dans la région. Cela parce que lorsque nous avons fait la diffusion à Ouaga, les gens ont compris que la situation d’insécurité est une question préoccupante qu’il faut traiter avec tout le sérieux possible. On est allé jusqu’à dramatiser la situation alors qu’elle n’en est pas là. On peut prendre les choses au sérieux et résoudre le problème. C’est ça aussi la mission du théâtre que nous faisons. Il faut aller donner l’information juste. Donc actuellement, nous sommes en train de chercher des partenaires pour la diffusion de ce spectacle. Au regard de la thématique, si on n’a pas d’accompagnement, ce n’est pas très évident. L’objectif pour nous aussi c’est de représenter valablement la région du Sahel à une manifestation culturelle au niveau national. Je ne sais pas laquelle des manifestations, en tout cas l’ambition c’est de revenir dans deux ou trois ans, avec un trophée pour montrer à nos frères et sœurs d’ici que si nous sommes dedans depuis, c’est parce que nous nous sommes fixés des objectifs.

Si vous avez un message à lancer, à qui le feriez-vous ?
C’est à tous les niveaux qu’on va lancer l’appel. Au Burkina Faso, on essaie tant bien que mal de restructurer les choses. Cela fait qu’aujourd’hui la gestion de tout ce qui a trait à la culture, aux arts et au tourisme a été transféré aux collectivités locales, notamment les conseils municipaux, qui sont appelés à épauler ces secteurs. Notre souhait est qu’on prenne beaucoup plus en compte la culture dans les plans communaux de développement et les plans régionaux de développement, parce que, quoi qu’on fasse, si on n’a pas des choses basées sur notre culture, nous allons réussir très difficilement dans nos projets. Notre culture doit être notre repère, tout doit se baser sur celle-ci avant de se projeter sur quoi que ce soit.

Quelque chose d’autre peut-être à ajouter pour terminer ?
C’est vous remercier pour cette belle opportunité que vous nous donnez parce que c’est une vitrine pour notre promotion. C’est aussi vous encourager dans ce que vous faites, car ce que j’ai dit comme difficultés, c’est certain que nous les partageons avec vous. Nous souhaitons que des initiatives pareilles soient aussi accompagnées en toute honnêteté. Ce n’est qu’à travers des initiatives de ce type que nous allons découvrir beaucoup d’atouts dont notre région regorge. Lorsque les autres structures comprendront qu’elles peuvent passer par votre plateforme pour se faire entendre, elles n’hésiteront pas à venir vers vous pour se faire cette visibilité. Je souhaite enfin à chacun l’esprit de sagesse, afin que nous puissions travailler main dans la main pour bâtir ce beau pays.

Romuald Windenonga OUÉDRAOGO, Observateur Civitac, Dori

     

 

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